En 1967, il écrit "La longue dame brune" pour Barbara qui décide illico qu'elle ne pourra jamais la chanter sans lui et que ce duo les enchaîne. Elle l'entraîne dans une tournée au cours de laquelle, à la suite d'un malaise de la chanteuse, il fait devant un auditoire important, des débuts aussi improvisés que ceux de l'Echelle de Jacob.

Barbara lui fait également rencontrer Serge Reggiani. Le comédien qu'il avait vu et revu dans "Les amants de Vérone" veut, à quarante-quatre ans, commencer une carrière de chanteur. Il est italien, fait pour chanter et il aime ça !

"Un acteur vieillissant et un auteur compositeur sur le retour. Deux has-been. Deux mal barrés. C'est à la fois ridicule, touchant et exaltant"

note Moustaki dans son livre "Questions à la chanson" écrit en collaboration avec Mariella Righini en 1973. Reggiani fait le siège de l'appartement de l'Ile Saint-Louis où vit Moustaki, établit avec lui une connivence telle que thèmes et mots s'ajustent à la sensibilité et au vécu de l'interprète, de l'ami : "Sarah", "Ma solitude", "Ma liberté", "Votre fille a vingt ans", ("Madame"), "Madame Nostalgie", "Tes gestes", "Moi j'ai le temps".

Le mouvement créé autour de la réussite de Serge Reggiani entrouvre les portes des studios à Georges Moustaki. Il rêve d'enregistrer un album qui, sur la longueur, lui ressemble. La seule proposition porte, hélas, sur un "45 tours deux titres" puis sur deux, histoire de doubler les chances.
"Joseph" et "Il est trop tard" (sur le premier) ne trouveront l'oreille du public qu'après le succès du "Joker", "Le métèque" (refusé trois ans plus tôt partout où il en avait présenté la maquette).

"J'ai chanté "Le métèque" dans l'émission de télévision "Discorama" de Denise Glaser : deux chaises, deux micros... Un échange paisible dans lequel chaque mot prenait une importance. Le lendemain les presses de Polydor ont commencé à fonctionner pour faire face à la demande : 5000 exemplaires par jour.
Pourquoi une telle chanson a-t-elle reçu un tel accueil à ce moment-là ?"
s'interroge encore Georges Moustaki.

Il décline alors, en douze titres, sa carte de visite la plus complète possible, fait figurer au dos de la pochette Piaf, Barbara, Reggiani et un texte de Brassens daté de 1954. Et il n'oublie pas Manos Hadjidakis ("Le facteur") rencontré quelques années plus tôt dont il inclut presque toujours une chanson dans chacun de ses disques, à chaque spectacle, avec l'impression qu'il est là et qu'il lui sourit.

Personne n'imagine à quel point ce personnage un brin décalé, barbe et "cheveux aux quatre vents", et ce qu'il exprime sont en phase avec la sensibilité et les mentalités de l'époque. Mai 68 vient de passer par là avec son aspiration à un monde neuf, fraternel, libre et joyeux. Sans entrave. Georges Moustaki a le profil du grand frère concerné, de l'amant ou de l'ami de coeur. Il est aussi convaincant dans sa revendication du "Temps de vivre" (écrit pendant les évènements), ses idées, que dans sa lecture de "La carte du tendre".

"Le métèque" lui donne le droit à la parole que revendiquaient les murs de 68. Il passe de l'ombre des vedettes qui chantaient ses chansons à l'avant-scène.

En 1970, il découvre les visages de ce public qui, à Bobino, le fête dans une belle ambiance. Dans la machine à fabriquer du disque ou du spectacle il joue, dès lors, selon ses propres règles - "à la fois dedans et dehors" - et ne cèdera jamais un pouce de terrain.

 

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