En 1967, il écrit
"La longue dame brune" pour Barbara qui
décide illico qu'elle ne pourra jamais la
chanter sans lui et que ce duo les enchaîne.
Elle l'entraîne dans une tournée au
cours de laquelle, à la suite d'un malaise
de la chanteuse, il fait devant un auditoire
important, des débuts aussi
improvisés que ceux de l'Echelle de
Jacob. "Un acteur vieillissant et un auteur compositeur sur le retour. Deux has-been. Deux mal barrés. C'est à la fois ridicule, touchant et exaltant" note Moustaki dans son livre "Questions à la chanson" écrit en collaboration avec Mariella Righini en 1973. Reggiani fait le siège de l'appartement de l'Ile Saint-Louis où vit Moustaki, établit avec lui une connivence telle que thèmes et mots s'ajustent à la sensibilité et au vécu de l'interprète, de l'ami : "Sarah", "Ma solitude", "Ma liberté", "Votre fille a vingt ans", ("Madame"), "Madame Nostalgie", "Tes gestes", "Moi j'ai le temps". Le mouvement créé
autour de la réussite de Serge Reggiani entrouvre les
portes des studios à Georges Moustaki. Il
rêve d'enregistrer un album qui, sur la longueur, lui
ressemble. La seule proposition porte, hélas,
sur un "45 tours deux titres" puis sur deux, histoire de
doubler les chances. "J'ai chanté "Le
métèque" dans l'émission de
télévision "Discorama" de Denise Glaser : deux
chaises, deux micros... Un échange paisible dans
lequel chaque mot prenait une importance. Le lendemain les
presses de Polydor ont commencé à fonctionner
pour faire face à la demande : 5000 exemplaires par
jour. Il décline alors, en douze titres, sa carte de visite la plus complète possible, fait figurer au dos de la pochette Piaf, Barbara, Reggiani et un texte de Brassens daté de 1954. Et il n'oublie pas Manos Hadjidakis ("Le facteur") rencontré quelques années plus tôt dont il inclut presque toujours une chanson dans chacun de ses disques, à chaque spectacle, avec l'impression qu'il est là et qu'il lui sourit. Personne n'imagine à quel point ce personnage un brin décalé, barbe et "cheveux aux quatre vents", et ce qu'il exprime sont en phase avec la sensibilité et les mentalités de l'époque. Mai 68 vient de passer par là avec son aspiration à un monde neuf, fraternel, libre et joyeux. Sans entrave. Georges Moustaki a le profil du grand frère concerné, de l'amant ou de l'ami de coeur. Il est aussi convaincant dans sa revendication du "Temps de vivre" (écrit pendant les évènements), ses idées, que dans sa lecture de "La carte du tendre". "Le métèque" lui donne le droit à la parole que revendiquaient les murs de 68. Il passe de l'ombre des vedettes qui chantaient ses chansons à l'avant-scène. En 1970, il découvre les visages de ce public qui, à Bobino, le fête dans une belle ambiance. Dans la machine à fabriquer du disque ou du spectacle il joue, dès lors, selon ses propres règles - "à la fois dedans et dehors" - et ne cèdera jamais un pouce de terrain.
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